mardi 3 avril 2007

Le rêve et l'invisible de Claudia Andujar















Lors de mes séjours chez les Yanomami au cours des vingt-cinq dernières années, je me suis efforcée de réaliser un travail d'auteur à travers le langage de la photographie. J'ai tenté de représenter consciemment ou non le monde yanomami.

Il ne fut pas facile de trouver des solutions visuelles permettant d’appréhender la magie de la lumière, les rayons de lumière, dans une maison plongée dans la pénombre. Il est vrai que les constructions yanomami, aux toits élevés et fermés, m’ont permis de trouver des solutions naturelles : grâce aux espaces dans la toiture destinés à l’échappement de la fumée des foyers et qui permettent ainsi la pénétration de rayons solaires. Dans certaines images, j’ai mis à profit la montée de la fumée dont les volutes créaient un voile lumineux.

A l'époque je ne comprenais pas très bien le concept yanomami de la duplicité du chamane et des entités 'xapiripë' qu'il invoque. Je me suis laissée guider par l'intuition, par mes rêves. Les xapiripë descendent, lumineuses, dansant sur de grands miroirs, entités humanoïdes, parées, magnifiques, invoquées par le chamane, intermédiaire entre leur monde et celui des hommes.

Danse incantatoire, imitant le chant des entités xapiripë, les doubles d'animaux et autres éléments de la nature comme I'esprit de I'eau, de la foudre, du tonnerre, du vent de la nuit, à qui le chamane fait appel pour guérir un malade, voyager au bout du monde ou encore, recevoir une réponse à ses questions que I'homme commun ne comprendrait pas mais auxquelles le chamane a accès pendant la transe.

Transe vitale pour résoudre la conduite de la collectivité lors de situations complexes, parfois de nature politique, comme la mort causée par un ennemi, par la sécheresse, par le déluge…, situations dont la solution n'apparaît pas à I'homme commun. Ainsi, les chamanes s'adressent-ils aux entités du monde primordial que seul un être initié peut entrevoir. II invoque les xapiripë qui descendent des hauteurs des montagnes, dansant sur leurs miroirs, ne se contaminant jamais au contact de la terre, fluctuant dans I'air, dans I'enceinte de la place centrale de la grande maison, le lieu sacré des rituels. Ils se manifestent sous la forme de minuscules humanoïdes spécifiques, avec leurs noms d'animaux ancestraux, se distinguant ainsi des animaux de chasse, les ‘yaropë’ qui peuplent actuellement les forêts et qui sont comestibles. Munis d'instruments propres à leurs espèces, ils sont des entités qui ont le pouvoir de guérir et de guider le chamane dans ses voyages.

Je comprends aujourd'hui que les ‘xapiripë’ représentent le monde d'une première humanité qui existe toujours et qu'ils orientent les Yanomami à travers leurs élus, les chamanes.
Les entités ‘xapiripë’ invoquées par le chamane sont splendides, richement parées, enveloppées de lumières et de brillance, dansant sur d'immenses miroirs. C'est cette image qui habite la vision du chamane pendant qu'il 'travaille' – expression qui se rapporte au chamanisme, selon Davi Kopenawa. Des lumières, d'innombrables lumières, transitent le long de la trajectoire des ‘xapiripë’ lorsque ceux-ci convergent des hauteurs vers le centre de la grande maison, dans I'espace réservé aux rituels.

II me semble que dans la vision yanomami il y a superposition d'êtres. L'homme-chamane mortel reçoit dans sa poitrine, lors de la transe, les entités ‘xapiripë’ et se transforme ainsi en un être doué d'une vision et de pouvoirs extrasensoriels, originaires du monde ancestral et immortel. Le chamane participe alors d'un moment de grâce.

Un moment qui nous renvoie à une période de I'histoire humaine en formation, où règne encore une indéfinition de I'identité, où I'on ne sait pas encore où se termine le monde animal et où commence I'humain. II me semble que le chamanisme est profondément lié à un état de transition d'un monde dans ses balbutiements. C'est comme retourner aux temps premiers de I'univers, alors que I'identité des humains commençait à peine à se dessiner.

Les ‘ xapiripë’ sont des entités aux traits humanoïdes, indestructibles, invoquées par le chamane à l'aide de noms propres au monde animal et à d'autres éléments de la nature. Les noms de ces entités éternelles se rapportent aux animaux de chasse, comme le jaguar, I'aigle, le tapir et d'autres encore, mais contiennent un suffixe qui s'ajoute au nom de I'animal. II ne s'agit donc jamais d'un nom identique à celui de l'animal de chasse. C'est son double qui descend des hauteurs, I'entité ancestrale.

Je comprends que le chamane initié à la tradition orale millénaire invoque les 'xapiripë' et transite d'un état d'être à un autre durant I'acte du chamanisme.

II est I'intellectuel, I'artiste de la communauté, I'être créatif qui parvient à rêver, à voyager et à guérir. Grâce à sa grande sensibilité, il possède le don de pénétrer la psyché des autres. II est le lien ‘illuminé’ de I'humanité qui possède le savoir et le pouvoir de délivrer sa communauté du mal. Les 'xapiripë' sont le lien cognitif qui permet au chamane de les visualiser sous forme d'images 'utupë', manifestation visuelle de l'entité spécifique, lumineuse et belle. Parfaites et minuscules entités de la première humanité. ‘Utupë’ est également le nom donné par les Yanomami à I'image photographique. Celle-ci est perçue comme un double de l'être humain, d'un animal ou d'une particule de la nature.

Je ne sais pas si I'image photographique est ou non un objet de crainte dans la culture yanomami. D'après mon expérience, lorsque je leur présentais des images proches de I'extase, un regard perdu dans I'infini lors d'un rituel, par exemple, était immédiatement compris. Le chamane comprend parfaitement de quoi iI s'agit et se lance dans un long discours tout en contemplant I'image, retrouvant en elle le monde des rêves dans un flux de paroles issu de la mémoire orale et visuelle.

D'une certaine façon, photographier, c'est-à-dire produire des images, est associé par les Yanomami aux visions chamaniques, à I'image ‘utupë’. Ce même terme est employé par eux pour désigner la photographie. Cette association est-elle un acte créatif? Permet-elle de faire voyager et rêver? Je I'espère.

Claudia Andujar

Photographe brésilienne, Claudia Andujar a, depuis le début des années 1970, tant par son engagement qu’à travers son œuvre, joué un rôle fondamental dans la reconnaissance, par le gouvernement brésilien, du territoire des Indiens yanomami du Brésil.
Extrait de la conférence donnée aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, à l’occasion de l’exposition ‘Brésil indien’. (Traduit du portugais par Malou von Muralt), photos de son ouvrage Yanomami (Ed. Dórea Books and Art, São Paulo, 1998).

Une note (en portugais) sur l'œuvre de Claudia Andujar et de nombreuses photos ici

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Amazonie, Carnet de voyage, Yanomami, fils de la Lune
Au coeur de la forêt amazonienne sur le Haut-Orénoque, entre Vénézuela et Brésil, vivent les Yanomami, fils de la Lune. Robert Taurines, reporter-photographe, a partagé pendant plusieurs mois le quotidien de ce peuple de guerriers.
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